🎧 La vidéo d’une manifestation étudiante recyclée en mouvement de soutien à Constant Mutamba

Une vidéo publiée sur TikTok le 26 août a prétendu montrer « la jeunesse congolaise » mobilisée pour soutenir Constant Mutamba, ancien ministre de la Justice jugé pour détournement de fonds publics. En réalité, il s’agit d’un contenu ancien filmé en 2018 lors d’une manifestation d’étudiants de l’Université de Kinshasa (Unikin) exigeant la levée de la grève des professeurs.

La séquence montre une foule de quelques centaines de personnes, hommes et femmes dont certaines brandissent des rameaux, dansant et scandant en lingala ce qui se traduit en français par « Demain, c’est un autre jour ». L’extrait a été posté sur le réseau social TikTok le 26 août, soit la veille du verdict attendu dans le procès de Constant Mutamba, verdict finalement reporte au 2 septembre. La légende accompagnant le vidéo affirme : « Demain, c’est demain. Le 27, une histoire va s’écrire. La jeunesse congolaise pour Constant Mutamba ».

Ce contenu a rapidement accumulé 2,1 millions de vues sur le compte TikTok de son auteur, qui compte 3,4 millions d’abonnés au 1er septembre. La vidéo a ensuite été relayée sur X par le journaliste Patrick Lokala, le 27 août, où elle a cumulé près de 48 000 vues. Le journaliste a écrit en légende : « #RDC ! Retour en images sur la journée du verdict reporté du procès @ConstantMutamba : la jeunesse congolaise commence à écrire sa propre histoire ».

Une vidéo de 2018

Une recherche d’images inversées via Google Lens, effectuée sur une séquence de la vidéo, a permis de retrouver sa source originale. Elle avait été publiée sur la page Facebook PDC Vision for DR Congo le 24 novembre 2018. La légende de cette publication indiquait qu’il s’agissait d’une manifestation d’étudiants de l’Unikin en soutien à Martin Fayulu, alors candidat à l’élection présidentielle de décembre 2018.

La même vidéo a aussi été republiée à l’époque sur le compte X de la coalition Lamuka, dirigée par Martin Fayulu. Selon cette légende, les étudiants scandaient pour un avenir meilleur au profit de celui qui était alors candidat commun de l’opposition face au dauphin de Joseph Kabila, Emmanuel Ramazani Shadari, avant que Félix Tshisekedi ne se retire pour se lancer lui aussi dans la course présidentielle.

Le nom « Kasongo » entendu dans la vidéo ne fait référence ni à Fayulu ni à Mutamba, mais à Sylvano Kasongo, commissaire de la Police nationale congolaise à Kinshasa à l’époque.

Une manifestation étudiante contre la grève des professeurs

En réalité, la vidéo n’avait rien à voir avec un soutien politique à Martin Fayulu ou à Constant Mutamba. Elle documente une manifestation d’étudiants de l’Université de Kinshasa organisée contre la grève des professeurs entamée le 12 novembre 2018. Les enseignants réclamaient alors de meilleures conditions salariales.

La marche des étudiants, partie du campus vers le ministère de l’Enseignement supérieur et universitaire (ESU), avait été dispersée par la Police nationale congolaise (PNC). Bilan : un étudiant blessé par balle et plusieurs interpellations.

Le 15 novembre 2018, les étudiants avaient de nouveau manifesté après le décès de leur camarade blessé trois jours plus tôt. Cette seconde mobilisation avait entraîné la mort d’un autre étudiant. Le ministre de l’ESU à l’époque, Steve Mbikayi, avait exprimé publiquement ses regrets face à ces drames. Douze jours plus tard, le 27 novembre, l’Association des professeurs de l’Unikin avait finalement décidé de lever la grève qui avait commencé le 8 octobre.

Mutamba condamné à trois ans de travaux forcés

Pendant ce temps, l’actualité autour de Constant Mutamba a occupé le devant de la scène politique et judiciaire. Son verdict, initialement prévu le 27 août, a été reporté au 1er septembre, avant d’être rendu le 2 septembre. La veille, l’ancien ministre avait été placé en résidence surveillée, interdit de quitter Kinshasa depuis le mois de juin. Un important dispositif policier et militaire avait été déployé autour de la Cour de cassation pour prévenir tout débordement de ses partisans le jour du jugement.

L’ancien ministre de 37 ans était poursuivi pour le détournement de près de 20 millions de dollars, issus du Fonds de réparation des indemnisations des victimes des activités illicites de l’Ouganda en RDC (FRIVAO), fonds affectés à la construction d’une prison à Kisangani, dans la province de la Tshopo.

Le président de la Cour de cassation, Jacques Kabasele, a rappelé lors de l’énoncé du jugement que Mutamba avait recouru à la procédure de gré à gré plutôt qu’à un appel d’offres public, marginalisant les institutions compétentes comme le secrétariat général à la Justice. Il lui a également été reproché d’avoir transféré les fonds vers le compte de la société Zion Construction, au « préjudice de l’État ».

Le ministère public a estimé que le détournement était constitué dès que les fonds avaient quitté le compte du FRIVAO pour celui de Zion Construction. Mutamba, lui, a plaidé non coupable, dénonçant un « complot politique », tandis que sa défense qualifiait le réquisitoire de « honte pour les étudiants en droit ».

Au terme de trois mois d’un procès à rebondissements, Constant Mutamba a été condamné à trois ans de travaux forcés et à cinq ans d’inéligibilité et de privation du droit de vote. Ces peines complémentaires prendront effet à la fin de la peine principale, l’empêchant d’accéder à des fonctions politiques ou publiques durant cette période.

Un rappel de vigilance face aux rumeurs

Cette affaire illustre la manière dont des vidéos anciennes peuvent être sorties de leur contexte et utilisées pour manipuler l’opinion publique. Une rumeur peut naître d’une simple légende trompeuse ou d’une vidéo recyclée. Il est donc essentiel de faire preuve d’esprit critique : examiner attentivement les contenus audiovisuels, vérifier leur origine via des moteurs de recherche ou des outils de vérification comme Google Lens, confronter plusieurs sources et replacer les éléments dans leur contexte.

La rumeur de la semaine est une rubrique pour décrypter les fausses informations qui circulent sur nos réseaux sociaux et au sein de nos communautés locales sur le terrain.