Illustrées par d’anciennes photos, des vidéos manipulées ou sorties de leur contexte, de nombreuses publications ont affirmé que l’ancien président congolais Joseph Kabila était arrivé le 18 avril 2025 à Goma, ville sous contrôle des rebelles de l’AFC/M23. Pourtant, aucun élément factuel ni communication officielle ne confirme sa présence. Décryptage.
Tout est parti d’une publication du journaliste Steve Wembi sur X (ex-Twitter), annonçant l’arrivée de Joseph Kabila à Goma, capitale provinciale du Nord-Kivu, passée sous le contrôle des rebelles du mouvement politico-militaire Alliance Fleuve Congo/Mouvement du 23-Mars (AFC/M23), soutenus par le Rwanda, depuis fin janvier.
Des anciennes vidéos ou hors contexte présentées comme des preuves
Plusieurs vidéos ont circulé sur Facebook et TikTok pour illustrer cette prétendue arrivée. Parmi elles, un post publié sur Facebook le 20 avril qui affirme : « Revivez l’arrivée marquante de Joseph Kabila à Goma. S’agit-il d’un acte de défiance envers Félix Tshisekedi, d’un signal de guerre ou d’une démarche en faveur de la paix ? Certains y voient un message clair : Kabila serait venu rappeler à Corneille Nangaa que son aventure avec une coquille vide doit prendre fin, et qu’il ferait mieux de retourner au Rwanda ». La publication est illustrée par une vidéo d’une minute et quatre secondes qui montre une foule massée le long d’une route où passe un cortège à vive allure.
Une recherche d’images inversée via Google Lens révèle cependant que cette scène a été filmée au Kenya, en mars 2025, et montre un cortège du président William Ruto. Aucun lien avec la RDC ni avec Kabila.
Autre contenu trompeur : une autre vidéo de 53 secondes postée sur la page Facebook « Eternel Ladis » montre Joseph Kabila vêtu d’un gilet, d’une chemise et coiffé d’un chapeau, arpentant une rue où une foule manifeste sa joie à sa vue. La légende évoque une prétendue présence de Kabila à Goma. Or, il s’agit d’une vidéo tournée en 2021 à Kasumbalesa, dans le Haut-Katanga, comme le confirme une recherche d’images inversée.
Un photomontage pour tromper
Plusieurs images sorties de leur contexte ont aussi été utilisées pour nourrir la rumeur. Une photo diffusée le 21 avril montre Joseph Kabila en selfie avec Steve Wembi, accusé d’être « pro-rébellion ». Steve Wembi fait partie des rares journalistes congolais autorisés à exercer à Goma, sans aucune contrainte apparente de la part des rebelles. Exilé loin des terres congolaises depuis environ trois ans, il est rentré en RDC par Goma après la prise de la ville fin janvier. En octobre 2022, il a été arrêté par des membres supposés de l’Agence de renseignements (ANR), mais cette information a été démentie par le gouvernement via son porte-parole, Patrick Muyaya. Ce cliché, selon une recherche inversée, date de 2019 et a été publié par ce journaliste lui-même le 4 juin 2019 sur son compte X.
Une autre image largement partagée montre Joseph Kabila assis dans un jardin avec Corneille Nangaa et Bertrand Bisimwa, leaders de l’AFC/M23, avec un drapeau congolais en arrière-plan. Il s’agit d’un photomontage, démonté grâce à des outils comme Fotoforensics, Google Images et Fake Image Detector, qui combine une ancienne photo de Joseph Kabila prise dans son jardin à Kinshasa le 10 décembre 2018 et une photo des leaders de l’AFC/M23 lors d’une conférence de presse après un meeting à Goma le 6 février.
Une rumeur sans faits, mais aux conséquences bien réelles
Aucune photo authentique, vidéo vérifiable ni déclaration officielle ne confirme l’arrivée de Joseph Kabila à Goma. Pourtant, la rumeur s’est propagée, d’autant plus que Kabila avait annoncé son retour en RDC par l’Est, début avril.
Le 18 avril, le ministre de la Justice, Constant Mutamba, a annoncé, dans un communiqué, des poursuites contre Kabila pour sa « participation directe à l’agression menée par le Rwanda à travers le mouvement terroriste AFC/M23 ». Il a ordonné la saisie de ses biens mobiliers et immobiliers. Le 20 avril, des rumeurs ont évoqué une suspension de cette mesure. Mais le ministre a confirmé que les poursuites étaient maintenues, déclarant que « les mesures de saisie de leurs biens mobiliers et immobiliers ainsi que de restriction de leur mouvement restent de stricte application. Dura lex sed lex ».
Le ministre de l’Intérieur, Jacquemain Shabani, a suspendu les activités du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), famille politique de Kabila, sur l’ensemble du pays. Il a évoqué son « attitude ambiguë » face à l’occupation du territoire par le M23, et le choix du retour par Goma, une zone sous contrôle rebelle.
Le PPRD a immédiatement rejeté ces accusations. Dans une lettre adressée au vice-premier ministre de l’Intérieur, ses avocats ont exigé la réhabilitation du parti. Ils affirment que même si Kabila était effectivement passé par Goma, cela ne « ne permet nullement de conclure à un quelconque soutien, ni à une adhésion à un groupe rebelle ».
L’importance de l’éducation aux médias et de l’esprit critique
Les affirmations sur la présence de Joseph Kabila à Goma le 18 avril sont infondées. Vidéos détournées, images anciennes, photomontages… Ces rumeurs montrent à quel point la désinformation peut prospérer dans les contextes politiques et sécuritaires tendus. Cela indique également l’importance de l’éducation aux médias et de l’esprit critique face à des photos ou des vidéos à caractère sensationnel.
La rumeur de la semaine est une rubrique pour décrypter les fausses informations qui circulent sur nos réseaux sociaux et au sein de nos communautés locales sur le terrain. Un décryptage réalisé par Vunja Uongo, l’équipe de la cellule de vérification du Studio Hirondelle RDC.