Naufragés du fleuve Congo, le lourd prix du manque de routes

À Mbandaka, dans la province de l’Equateur, dans le nord-ouest de la RDC, le fleuve Congo est devenu une route de la mort. Faute d’infrastructures routières praticables, des centaines d’habitants empruntent chaque jour des pirogues ou baleinières surchargées pour se déplacer, au péril de leur vie. Les naufrages se multiplient, sans que les promesses de réhabilitation du réseau routier ne se concrétisent.

Faute de routes praticables, ils sont partis en pirogue et ont péri dans les eaux du fleuve Congo : à Mbandaka, chef-lieu de la province de l’Equateur, au nord-ouest de la République démocratique du Congo (RDC), le cimetière recueille les dépouilles au gré des naufrages qui se répètent dans cette région enclavée.

« Je sais que c’est trop risqué mais je n’ai pas le choix, il n’y a pas d’autres moyens de transport », explique résigné à l’Agence France Presse (AFP) Nestor Mokwanguba, enseignant, avant de monter à bord de L’Epée du Roi, un bateau motorisé en bois en partance pour Bolomba, localité située à quelque 250 km. Il pleut presque toute l’année à Mbandaka plongée dans la dense forêt du Bassin du Congo. La quasi-totalité des axes routiers de cette province sont en terre, et bien souvent impraticables. 

Seulement 2.700 km asphaltés sur les 58.000 km de routes nationales

Vaste pays d’Afrique centrale de 2,345 millions de km2, soit quatre fois la superficie de la France, la RDC compte environ 58.000 km de routes nationales mais moins de 5% sont asphaltées (2.700 km), selon des chiffres du ministère congolais des Infrastructures et Travaux publics. 

Pour se rendre à l’école, aller au marché ou travailler aux champs, les habitants se rabattent en masse sur « les bus fluviaux », des embarcations en bois mal entretenues aussi appelées « baleinières », qui sillonnent surchargées d’hommes, de femmes et de marchandises le grand fleuve, de jour comme de nuit. Les armateurs se soucient généralement peu du tonnage ou des normes de sécurité.

Poussé vers le large à mains d’hommes, L’Epée du Roi laisse échapper une épaisse fumée noire en s’éloignant cahin-caha, passagers et biens entassés sur les ponts. Le ticket a coûté l’équivalent de cinq dollars (15.000 francs congolais), un coût abordable pour les populations locales.

Les gens « voyagent dans des conditions inhumaines », déplore le maire de Mbandaka, venu s’assurer que l’embarcation ne partirait pas surchargée et que les passagers seraient munis de gilets de sauvetage. 

Depuis juillet 2024, au moins 148 personnes sont mortes dans des naufrages de pirogues sur le fleuve Congo, plusieurs dizaines sont toujours portées disparues, selon un décompte de l’AFP. Ces chiffres sont largement sous-évalués car les listes de passagers sont rarement disponibles.

Agenouillée devant une tombe, Florence Munzanza pleure. Son fils Jean-Florent Munsebi Munzanza est mort l’an dernier. Il avait 28 ans. « Il n’y avait ni tempête, ni vague. Mais l’excès de charge… », explique à l’AFP Ephésien Mpambi, 28 ans, un ami rescapé qui voyageait avec lui. 

« Maintenant, j’ai peur du fleuve »

Ephésien Mpambi, rescapé d’un naufrage sur le fleuve Congo.

Après chaque arrêt, la baleinière repartait encore un peu plus lourde : « Si nous ne chargeons pas suffisamment, nous ne rentrons pas dans nos frais. Nous sommes avant tout des commerçants et il n’y a pas de route, tout le monde veut monter », plaide auprès de l’AFP Clovis Engombe, vice-président de l’association locale des armateurs.

Ephésien Mpambi raconte que les passagers ont protesté, mais en vain. Peu avant minuit, à une distance d’à peine 25 km de Mbandaka, le bateau a chaviré. « Les gens se sont mis à crier. J’avais de l’eau jusqu’au cou. Je me suis accroché à un morceau de bois et j’ai prié », se souvient-il. Des riverains l’ont finalement secouru. Mais de son ami Jean-Florent Munsebi Munzanza, pas de trace. Jusqu’à ce que le corps de ce dernier remonte à la surface. « Maintenant, j’ai peur du fleuve », confie Ephésien Mpambi. 

Ces derniers mois, le gouvernement congolais a rappelé qu’il est interdit aux embarcations de naviguer de nuit, surchargées et sans fournir de gilets de sauvetage. 

Au début de son premier mandat en 2019, le président congolais Félix Tshisekedi avait placé la réhabilitation et la construction de routes au cœur d’un vaste programme de développement, promettant de relier l’immense pays du nord au sud et d’est en ouest.

Entre le manque de financement et les défis logistiques pour mettre en œuvre cette ambitieuse politique de grands travaux, les résultats tardent. « Notre fils est mort, les gens sont morts. Le gouvernement n’a rien fait, il s’en fout et les propriétaires des baleinières ne sont jamais punis », constate amèrement Florence Munzanza.

Studio Hirondelle RDC, avec AFP