À l’ère du numérique, les conflits ne se limitent plus aux armes et aux batailles sur le terrain. Dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), où les combats opposent l’armée régulière (FARDC) aux rebelles de l’Alliance Fleuve Congo/Mouvement du 23 mars (AFC/M23), la guerre de l’information fait rage. Les mots, les images et les vidéos deviennent des projectiles capables de façonner l’opinion publique, souvent au mépris de la vérité. Fin octobre, deux vidéos, l’une filmée en Birmanie et l’autre en Indonésie, ont été détournées pour et utilisées pour soutenir des narratifs pro-FARDC et pro-M23. Décryptage.
Dans la nuit du 24 au 25 octobre, une vidéo (ici, ici, ici, ici et là) devenue virale a prétendu montrer « des rebelles rwandais du M23 AFC en débandade face à la puissance du feu des drones FARDC ». Visionnée par plus d’un million d’internautes et partagée y compris par des journalistes, la séquence était accompagnée d’une voix en swahili louant la puissance de feu de l’armée congolaise.
Le filigrane TikTok présent sur cette vidéo a permis d’identifier le compte Kanumba DRC comme étant le premier à avoir diffusé ce contenu. En analysant ce compte qui appartient en réalité à Chance Muhima, un cinéaste connu à Goma, Vunja Uongo a relevé une forte tendance à une propagande pro-FARDC. Un détail suffisant pour éveiller les soupçons autour de l’authenticité de la vidéo.
L’analyse via l’outil InVid We Verify a révélé que la vidéo n’avait aucun lien avec la RDC. Les résultats ont établi qu’elle provenait de Birmanie (Myanmar), filmée fin septembre 2025, lors de frappes menées par la junte birmane dans le canton de Naung Cho, dans l’État Shan. Des versions identiques de cette vidéo avaient déjà circulé sur des pages Facebook et YouTube birmanes au début du mois d’octobre, soit plusieurs jours avant son détournement. Une recherche par mots-clés avec ces détails ont également permis de retrouver une autre vidéo du même endroit mais prise bien avant les bombardements. L’auteur précise qu’il s’agit bien de la Birmanie.
Des journalistes de terrain basés dans l’Est de la RDC ont confirmé au Studio Hirondelle que plusieurs éléments visuels – dont une antenne visible dans le plan – ne correspondaient pas à l’environnement de l’Est congolais. « Cette antenne visible sur la vidéo n’est pas dans l’Est de la RDC », a expliqué l’un d’eux sous le sceau d’anonymat, pour raison d’intégrité.
Des soldats indonésiens présentés comme des combattants du M23

Sur le réseau social X, deux photos publiées par un compte pro-M23 – partagé ici – prétendaient montrer des rebelles se préparant à lancer une offensive. Rapidement, les mêmes images ont été récupérées par des comptes favorables aux FARDC pour dénoncer une prétendue nouvelle incursion de l’armée rwandaise. Une recherche d’images inversées a établi que les photos sont en réalité des captures issues d’une vidéo YouTube. A l’aide de Wizard AI, un outil d’intelligence artificielle capable d’analyser la langue d’une vidéo, Vunja Uongo a pu détecter que la langue utilisée dans la vidéo originale est le bahasa indonésien.
Ce détail a rendu possible une recherche par mots-clés, prouvant qu la séquence provient d’un exercice militaire de l’armée nationale d’Indonésie (TNI), organisé en janvier 2025 dans le district de Wonogiri (Java central). L’activité concernait 636 élèves-soldats de l’armée de l’air, en formation sur des épreuves de tir, de franchissement et de survie. Rien à voir avec la RDC. Une vidéo du même exercice, prise sous un autre angle, confirme cette version.
La fausse annonce du retour des FARDC à Kavumu
Sur la même période, une autre rumeur a annoncé que l’aéroport de Kavumu, à l’entrée de Bukavu, aurait été « repris par les FARDC et les Wazalendo ». Le message, largement relayé par des comptes pro-gouvernementaux, annonçait même que le « couloir menant à Bukavu était désormais entièrement sécurisé ». Vunja Uongo a contacté des journalistes locaux qui ont formellement démenti. « Je viens du parking de Kavumu, il y a toujours des éléments du M23 et la situation est calme », a confié un reporter sur place. Pour des raisons de sécurité, son identité n’a pas été révélée.
Sur Internet, la désinformation autour du conflit dans l’Est connaît une montée en puissance, nourrie d’images détournées, de légendes manipulées et de rumeurs virales. Dans cette bataille de l’espace numérique, les FARDC et le M23 cherchent à imposer leur récit et à influencer l’opinion, parfois au détriment de la vérité. Dans cette guerre invisible, chaque image devient une arme. Face à ce déferlement, la vigilance reste la meilleure défense. Avant de partager un contenu, il est important de vérifier sa source, son contexte et sa date.
La rumeur de la semaine est une rubrique pour décrypter les fausses informations qui circulent sur nos réseaux sociaux et au sein de nos communautés locales sur le terrain.