🎧 Informer en temps de crise : quand les journalistes se retrouvent entre censure et menace armĂ©e

Depuis la chute de Goma et Bukavu aux mains de l’AFC-M23, les professionnels des médias congolais se retrouvent au cœur d’un double péril : un encadrement strict de leur travail par les autorités, au nom du patriotisme, et des menaces dans les zones passées sous contrôle rebelle. Face à cette situation, journalistes, syndicats et analystes appellent à préserver à la fois la responsabilité éditoriale et la liberté d’informer.

Depuis la prise de Goma (Nord-Kivu) à la fin janvier, suivie de la chute de Bukavu (Sud-Kivu) à la mi-février et d’autres territoires de l’est de la République démocratique du Congo (RDC), les journalistes congolais font face à une double pression. D’un côté, une censure politique renforcée imposée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC) ; de l’autre, des violences et menaces dans les zones désormais sous le contrôle de l’Alliance Fleuve Congo – Mouvement du 23 Mars (AFC-M23), une rébellion armée soutenue selon Kinshasa par le Rwanda.

Dans un communiqué daté du 30 janvier, le CSAC a appelé « les professionnels des médias et à tous les intervenants dans ce secteur au sens élevé de patriotisme ». Il leur a enjoint de « s’abstenir de diffuser les informations sur la guerre de l’Est sans se référer aux sources officielles, de s’interdire toute diffusion des débats relatifs aux opérations militaires menées par les FARDC sans la présence d’un ou de plusieurs experts militaires, d’éviter toutes les émissions à téléphone ouvert sur les opérations sus-évoquées, de s’abstenir d’accorder la parole aux terroristes du M23, de l’AFC et leurs supplétifs », accusés de faire l’apologie de la rébellion et à « privilégier les programmes dédiés à la prise de conscience et d’éveil patriotique ». Le 2 juin, la même instance a suspendu les activités médiatiques du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD), formation de l’ancien président Joseph Kabila, accusée par les autorités d’être de connivence avec les rebelles.

Lors de l’Hirondelle Débat sur le thème « Comment informer en pleine agression : le défi des professionnels des médias en RDC », trois voix du secteur médiatique ont pris la parole. Élysée Odia, journaliste et responsable du site Yabisonews.cd, a reconnu avoir « réajusté sa plume », tenant compte du contexte de guerre tout en maintenant une exigence professionnelle. Jasbey Zegbia, secrétaire général de l’UNPC, a souligné que « la crise sécuritaire actuelle affecte profondément le travail des journalistes, notamment dans le Nord-Kivu ». En réponse à l’insécurité croissante, le siège de l’UNPC a été déplacé vers Kinshasa. Zegbia a appelé les journalistes à conjuguer prudence, responsabilité et indépendance, sans pour autant céder à l’autocensure imposée par la peur ou la pression politique. Pour sa part, Trésor Kibangula, ancien journaliste et directeur du pilier politique à Ebuteli, l’Institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence, a dénoncé une « régulation partisane ». Il a plaidé pour un équilibre entre l’intérêt national et le respect des faits, pierre angulaire de la déontologie journalistique et levier essentiel dans la lutte contre la désinformation.