Les pouvoirs exécutif et législatif peinent à cohabiter dans de nombreuses provinces du pays
Image d'illustration. AFP PHOTO / JUNIOR D.KANNAH

Les pouvoirs exécutif et législatif peinent à cohabiter dans de nombreuses provinces du pays

La législature de 2019-2024 a été marquée par le conflit entre les pouvoirs exécutif et législatif dans de nombreuses provinces, entraînant la destitution de plusieurs gouverneurs. À l’approche des élections des gouverneurs et vice-gouverneurs prévues le 28 avril, une ancienne gouverneure de province propose le retour à la nomination des gouverneurs non-originaires.

Sur les 26 provinces que compte la République démocratique du Congo (RDC), quatorze ont été secouées par des tensions entre les chefs des exécutifs provinciaux et les Assemblées. Dans le Kasaï-Oriental, deux gouverneurs issus du parti présidentiel Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) ont été disgraciés au cours de la législature de 2018-2024.

« Il y a eu d’abord la destitution de Jean Maweja Muteba qui prenait les rênes de la province après plus d’une décennie de gestion par Alphonse Ngoy Kasanji. Pourtant, son élection avait suscité une certaine lueur d’espoir dans la mesure où il est un cadre du parti au pouvoir [et originaire de cette province], relate Rachel Ntumba, notre correspondante à Mbuji-Mayi, chef-lieu de la province du Kasaï-Oriental et fief de l’UDPS. Mais il a été destitué par l’Assemblée provinciale qui lui reprochait une incompétence notoire dans la gestion de la province, caractérisée notamment par l’impunité. »

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Détournement des fonds publics

Son remplaçant Mathias Kabeya Matshi Abidi a, lui aussi, subi le même sort. « L’inspection générale des finances (IGF) avait, aux termes d’une mission de contrôle, découvert l’existence de deux comptes bancaires non déclarés par le gouverneur alors que des transferts en provenance du pouvoir central y ont été logés », explique notre correspondante. Ni le premier ni le second n’ont eu l’occasion de présenter leurs moyens de défense alors que le règlement intérieur leur accorde un délai de 48 heures.

« Il arrive que par le refus d’être contrôlé, on [les députés provinciaux] actionne des motions de défiance ou de censure contre le gouverneur ou son gouvernement. Sur le plan de droit, c’est légal », explique Jeff Liotho Mbula, avocat au barreau de Lubumbashi et spécialiste des questions électorales. « Très souvent, ils s’arrangent pour fermer l’Assemblée provinciale. Et vous verrez les députés décider d’aller siéger en dehors de l’hémicycle. Une fois, dans une des provinces, les députés ont siégé sous l’arbre pour destituer un gouverneur. Si le règlement intérieur n’a pas prévu cette délocalisation, alors toutes les décisions prises sous l’arbre sont en violation de la loi », ajoute-t-il. Le juriste explique aussi que d’autres gouverneurs de province fuient à Kinshasa avant la date de leur défense pour mettre en difficulté leur Assemblée provinciale.

« Être gouverneur originaire est une mauvaise chose. Être gouverneur élu est une mauvaise chose parce qu’avec les élections, c’est l’argent qui parle.

Catherine Nzuzi wa Mbombo

Catherine Nzuzi wa Mbombo, 80 ans, ancienne gouverneure du Bas-Zaïre [l’actuelle province du Kongo-central, de 1972 à 1974] et vice-gouverneur de Kinshasa en 1981, raconte à son époque il y avait une meilleure collaboration entre les institutions. « Je pense que j’ai réussi à bien diriger cette province, c’est parce que je n’étais pas effectivement originaire de là. J’ai été adoptée [par la population, ndlr] parce que je ne pouvais pas interférer dans les conflits sociaux. J’étais neutre. Je crois également qu’être non-originaire est un atout majeur parce que vous travaillez conformément à la loi en tant que représentant du président de la République. On ne peut pas vous soupçonner comme on le voit maintenant », se souvient-elle.

Pour Mme Nzuzi wa Mbombo, « être gouverneur originaire est une mauvaise chose. Être gouverneur élu est une mauvaise chose parce qu’avec les élections c’est l’argent qui parle. Il y a des personnes qui n’ont pas d’argent mais qui ont des compétences. Pourquoi les priver de rendre service à leur pays ? ». L’octogénaire préconise la nomination des gouverneurs par le chef de l’Etat, en se référant néanmoins à leur background, capacités et expertise.

Toutefois, certaines provinces ont expérimenté la symbiose dans la collaboration entre Exécutif et Législatif, à l’instar du Haut-Katanga où, son gouverneur Jacques Kyabula n’a pas été inquiété par l’Assemblée provinciale depuis son élection en 2019. « Si Jacques Kyabula est parmi ceux-là qui n’ont pas été concernés par les destitutions au niveau des assemblées provinciales, cela démontre qu’il a affiché une bonne gestion dans la province du Haut katanga », affirme Asipate Sikitiko, Professeur à la faculté des sciences sociales et politiques à Lubumbashi.

Avec les modifications apportées au calendrier électoral, les scrutins des gouverneurs et vice-gouverneurs de provinces seront organisés le 28 avril 2024 dans la majorité des provinces du pays. Ils auront lieu plus tard dans les territoires de Rutsuru et Masisi (Nord-Kivu) et de Kwamouth (Maï-Ndombe) à cause de l’insécurité qui y sévit.